Sur la photo, ils verraient d’abord son binocle et puis, ils en tireraient leurs conclusions : « Théophile a changé », « il s’est calmé », « est devenu plus sérieux», « plus posé ». Ces gens-là n’avaient pas besoin de plus pour juger, un seul coup d’œil suffisait. Normal, c’était des proches.
Pourtant Théo ne les considérait pas comme son « entourage proche». À vrai dire, il ne s’était jamais senti entouré, mais plutôt cerné de toutes parts. Comme si on avait cherché à l’arrêter… Pour quel(s) délit(s) ?! Il l’ignorait; mais sa culpabilité ne faisait aucun doute. Depuis toujours, ce regard accusateur avait pesé sur lui. Enfant, on lui reprochait déjà d’être « turbulent », « instable », « émotif »; de ne pas tenir en place, de pleurer pour un rien ou de saigner du nez à la moindre contrariété. Bref, c’était « un sale gamin », « vraiment intenable » !
Il ne s’était donc pas prononcé en quittant le village à sa majorité.Les parents reçurent un courrier quelques temps plus tard -avec » accusé de réception « !-. Ni plus ni moins qu’un dernier pied de nez de la part du rejeton. Pas de message, juste un cliché : Théo droit, avec une cravate sombre, une fine moustache, des cheveux soigneusement peignés ; Théo enfin immobile, imperturbable, « sage comme une image ». Et summum de l’élégance, un binocle ! Il en était certain, cet objet allait leur faire de l’effet. Peut-être même corriger leur vision… Mais à ses yeux, tout cela n’était qu’accessoire maintenant qu’il existait !
FRED DETTWILER